COMPLAINTE DES TISSERANDES

Toujours draps de soie tisserons

Et n'en seront pas mieux vêtues.

Toujours seront pauvres et nues

Et toujours faim et soif aurons;

Jamais tant gagner ne saurons

Que mieux en ayons à manger

Au matin peu en avons et au soir moins;

Car de líouvrage de nos mains

Níaura chacune pour son vivre

Que quatre deniers de la livre,

Et de cela ne pouvons pas

Assez avoir viande et draps,

Car qui gagne dans sa semaine

Vingt sous n'est pas mis hors de peine.

Et bien sachez-le donc, vous tous,

Qu'il n'y a nulle d'entre nous

Qui gagne vingt sous au plus.

De cela serait riche un Duc !

Et nous sommes en grande misère!

Mais s'enrichir de nos salaires

Celui pour qui nous travaillons.

Des nuits grand' partie veillons

Et tout le jour pour y gagner.

On nous menace de rouer

Nos membres quand nous reposons;

Aussi reposer nous n'osons.

Chrétien de TROYES

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